On peut les voir par le passé, et cela serait juste. Elles ont marché longtemps, les yeux rivés sur la promesse, les bons jours comme les mauvais. Moi, je préfère les voir par l’avenir. L’avenir, elles le guettent, comme des guetteurs sur la Maison d’Israël, parfois avec inquiétude. Elles guettent tout d’abord l’avenir du peuple juif. Elles ne connaissent pas seulement les Juifs par les livres. Elles les connaissent par le cœur. Elles ont su tisser, quand cela ne se faisait pas, de forts liens d’amitié, sans faille et sans ambiguïté, sans compromission, éclairées par le Concile Vatican II certes, mais on pourrait dire que vous avez été éclairées par le Concile avant le Concile.
Vous êtes inquiètes aussi, inquiètes de l’avenir de l’Église avec les Juifs, inquiètes car l’espérance vous tient à cœur, vous êtes tendues vers l’espérance. Comme le disait le Père Bernard Dupuy, op, vous êtes rivées à la frise de l’espérance des Juifs, à la frise de l’espérance des Chrétiens. La relation de l’Église avec les Juifs, c’est comme une passion qui vous brûle de l’intérieur et qui, chaque matin, par soleil ou par pluie, vous fait redire : On y va !
Il faut avoir vu Sœur Louise-Marie enseigner les peintures de Chagall, comme si elle l’avait connu. Et tissant d’un côté l’art, de l’autre l’histoire personnelle de Chagall, elle introduit avec aisance ses auditeurs à la fine saveur de la relation judéo-chrétienne.
Sœur Dominique, qui ne connaît pas son exigence lorsqu’elle enseigne, je préfère dire, transmet l’Hébreu !
Il en fallait de l’audace à une Sœur pour se spécialiser en hébreu biblique et en faire son devoir quotidien ! Là encore, ce n’est pas un enseignement vidé, pauvre, mais enraciné dans la Tradition juive vivante, pour que les Catholiques qui apprennent l’hébreu par la langue, n’aiment pas que les Juifs morts au Ier siècle, mais connaissent les Juifs vivant aujourd’hui, en entrant de l’intérieur dans le beau mystère du peuple juif. Combien de gens, Sœur Dominique, ont aimé les Juifs en apprenant avec vous l’hébreu !
Vous avez eu cette intuition de former avec le cœur des générations de croyants qui, par la suite, ont porté ce souci, parfois dans la prière, au fond d’un monastère, parfois dans des responsabilités diverses. La preuve, c’est que vous êtes là, dans ce Grand Auditorium rempli, sans compter tous ceux qui n’ont pas pu entrer et qui sont dans l’autre salle.
Nous avions, l’autre semaine, une réunion du Service national, et je les entendais discuter entre elles, et dire : où vas-tu pour Kippour, demain ?
Eh oui, les Sœurs de Sion ont tracé un sillon qui nous oblige à regarder loin.
Plus profondément, le contact avec les Frères et les Sœurs de Sion nous rappelle qu’œuvrer contre le péché de l’antisémitisme, tisser des liens forts comme l’acier entre ces deux peuples, éradiquer, autant que faire se peut, l’enseignement du mépris, cela relève sans doute du hasard, sans doute d’une nomination, mais plus profondément d’une vocation personnelle, d’un appel de Dieu qui vous tient chaque matin face aux hommes, car il s’agit bien d’un combat.
Une Sœur âgée me disait : quand on tient d’un côté de la main l’Église, et de l’autre main, le Peuple juif, on a les deux mains écorchées.
Malheureusement, le péché d’antisémitisme si souvent dénoncé par le Pape Jean-Paul II, après Bonhoeffer comme un crime contre Dieu et contre l’humanité, n’est pas mort.
Des actes de violence inimaginables marquent au fer rouge notre pays, l’affaire Mohammed Merah semblait n’en avoir été qu’un épisode. Hier, dans le journal Le Monde, je lisais un concours de messages antisémites sur Twitter qui s’appelait : « Un bon Juif », les auteurs se livrant à la publication de messages antisémites épouvantables.
Eh bien, vous les Sœurs de Notre-Dame de Sion, vous chère Dominique, vous chère Louise-Marie, vous nous tournez vers demain. Vous n’êtes pas des femmes du passé.
Vous avez toutes les deux de sacrés tempéraments que pas grand-chose n’a pu faire plier ; il semble que le Seigneur, par vous, a porté des fruits et, comme dit l’Évangile, des fruits qui demeurent.
Il nous faut prier ce soir pour que demain et après-demain, se lèvent d’autres Dominique et Louise-Marie, tout aussi incorrigibles et animées de ce souffle d’en Haut, « Min HaShamayim » qui nous fait, comme Abraham, lever les yeux, compter les étoiles, et marcher vers la promesse, longtemps.
Alors, à vous deux, ce n’est pas un Prix qu’il faut donner mais un formidable, un très grand Merci, à la Providence d’abord, de vous avoir appelées, et merci à vous, d’avoir accepté et décidé pour nous d’être là, les bons jours comme les mauvais, de lui avoir répondu : Oui, me voici, Hinéni…
Enfin, il me semble crucial de comprendre de l’intérieur le visage du Christ, auquel vous êtes à juste titre si attachées.
Vous avez perçu combien la judéité du Christ n’était pas seulement un enracinement culturel, mais qu’elle était indispensable pour bien comprendre l’Incarnation dans l’unité du Plan du Salut.
Ce visage du Christ, non seulement, vous en parlez, mais vous en vivez.
Et il me semble que se tient là l’un de vos secrets ; vous n’êtes pas d’abord des militantes, pas seulement des enseignantes, mais vous portez en vous ce magnifique visage de Jésus, Fils de Dieu, et c’est sans doute cela qui a fait le succès de votre Institution, le SIDIC.
Vous avez compris que le meilleur attrait dans l’Église, pour qu’elle retrouve les racines et les richesses juives de ses racines, c’était d’en vivre.
Hommage du Père Patrick Desbois à Sœur Louise-Marie Niesz et Sœur Dominique de La Maisonneuve lors de la remise du Prix AJCF 2012.
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