Les différents courants du judaïsme en France

Judaïsme consistorial, libéral, massorti, ultraorthodoxe… À l’occasion d’Hanoukka, qui débute ce dimanche, tour d’horizon des principaux courants du judaïsme en France.

Allumage public d’une hanoukkia, place de l’Opéra à Paris, en 2017.
Magali Cohen/Hans Lucas
Pourquoi le judaïsme est-il divisé en plusieurs courants ?À partir des XVe et XVIe siècles, les juifs des différents pays européens sont regroupés dans des quartiers séparés du reste de la population, les ghettos. Ils vont y être confinés pendant plusieurs siècles, jusqu’à la Révolution en France, et jusqu’au cours du XIXe siècle dans la majeure partie du continent.

Dans ce contexte d’accession à la citoyenneté et donc d’insertion dans le reste de la société, va alors se poser la question de la possibilité de continuer à suivre l’ensemble des préceptes de la halakha, la loi juive faite de prescriptions, coutumes et traditions. Dans les pays de l’ère germanique surtout, un mouvement de pensée, appelé haskala, et né dans la continuité des philosophes des Lumières, va réfléchir à cette question de l’adaptation de la communauté juive et de sa loi au monde moderne.

Toutefois, les juifs ne sont pas unanimes dans les réponses à apporter face à l’entrée dans la modernité. « Tout va se jouer entre les juifs bourgeois, éclairés, citadins, qui vont aller vers ce judaïsme adapté au monde moderne et ceux qui, au contraire, vont être les tenants de la tradition », explique Marie-Christine Emine, agrégée d’histoire et membre du Centre d’initiative pour les relations et le dialogue entre juifs et chrétiens (Cirdic). Alors que les premiers vont être décrits comme plus libéraux, les seconds seront qualifiés de plus orthodoxes.

Les juifs de France prennent-ils part à cette réflexion ?

La France est un cas à part dans ces réflexions autour de l’adaptation à la modernité. En effet, seulement quelques années après l’accession des juifs à la citoyenneté en 1791, l’empereur Napoléon Ier les contraint à se rassembler dès 1808 autour du Consistoire central israélite de France. À l’époque, il souhaite avoir en quelque sorte l’équivalent de l’archevêque de Paris pour les juifs. Le judaïsme français se voit donc fédéré en une seule structure, avec un cadre institutionnel et un courant officiel unique.

Même s’il mène quelques réformes au cours du XIXe siècle, notamment de simplification de la liturgie, ce judaïsme dit consistorial reste relativement orthodoxe, c’est-à-dire respectueux de la halakha. Et son existence même freine le développement d’autres tendances organisées. « En France, il n’y a pas vraiment de pluralisation, même si on trouve des communautés plus orthodoxes et d’autres plus libérales », résume Martine Cohen, sociologue émérite au groupe « sociétés, religions, laïcités » du CNRS.

Pour elle, le Consistoire reste ainsi « dans un entre-deux tolérant », ce qui permet à des tendances différentes d’avoir cours entre les synagogues sans que celles-ci ne cherchent à se structurer par ailleurs. « Pendant longtemps, poursuit Martine Cohen, les synagogues plus orthodoxes et celles libérales se sont contentées d’exister sans remettre en cause la représentativité du Consistoire. »

Ces courants se sont développés soit au sein même du judaïsme consistorial, soit en dehors de celui-ci, sans pour autant en contester véritablement la primauté. Ainsi, si dès 1907 est créée l’Union libérale israélite de France (qui correspond à la synagogue parisienne de la rue Copernic), des juifs libéraux peuvent pendant longtemps se retrouver à des fonctions en responsabilité au sein du Consistoire. Conséquence de cette non-structuration en dehors du Consistoire : le judaïsme libéral est largement minoritaire en France, alors que dans des pays comme les États-Unis le judaïsme réformé représente la norme dominante.

Quelle est la situation actuelle ?

Ces dernières décennies, le modèle du Consistoire est toutefois de plus en plus remis en question au sein du judaïsme français, même si celui-ci reste la référence incontournable pour le demi-million de juifs du pays. À partir de 1990, l’arrivée de femmes rabbins en France – en particulier les médiatiques Pauline Bebe et Delphine Horvilleur – a donné une visibilité nouvelle au judaïsme libéral. Longtemps émietté entre différentes synagogues, ce courant tente depuis 2019 de se fédérer autour de Judaïsme en mouvement (JEM), association qui commence même à avoir une certaine reconnaissance des autorités publiques.

À l’inverse, des voix se sont élevées depuis un demi-siècle pour réclamer un judaïsme plus strict vis-à-vis de la halakha. En France, il s’agit surtout des loubavitch, notamment connus pour leur port de la tenue traditionnelle juive. Selon différents observateurs, ce mouvement issu du hassidisme, né au XVIIIe siècle en Europe de l’Est et qui prône le retour à l’émotion et au mysticisme, allié à un grand rigorisme rituel, connaît depuis quelques années une progression très rapide dans l’Hexagone. « Ils mènent une véritable mission vers la grande majorité de juifs non-pratiquants et qui a l’air efficace car ils peuvent donner l’image d’un judaïsme à la fois beaucoup plus authentique et chaleureux », note Marie-Christine Emine. Ces juifs loubavitch sont parfois présents au sein des institutions consistoriales.

À ces trois courants s’ajoute encore celui du judaïsme massorti. Il s’agit en réalité d’une forme modérée du judaïsme réformé, soucieuse de préserver une partie de la tradition – notamment concernant le culte. Une voie intermédiaire donc entre les juifs orthodoxes et ceux libéraux.

À noter, en revanche, qu’il n’existe pas véritablement en France de communautés ultraorthodoxes, c’est-à-dire qui refusent largement la modernité. Surtout présentes en Israël et aux États-Unis, ces communautés, qui suscitent une certaine curiosité dans le grand public comme en témoigne le succès ces dernières années des séries Netflix qui leur sont consacrées, vivent le plus souvent de manière fermée, séparée du reste de la société.

 

https://www.la-croix.com/differents-courants-judaisme-France-2021-11-26-1101187025

  • Xavier Le Normand,