Le pèlerinage dans la Bible

Par Soeur Dominique de La Maisonneuve

Il est une manière de lire la Bible comme un chemin à parcourir. D’un chemin on demande comment il est ? Pentu, rocailleux… Mais d’abord : où il mène. La Parole de Dieu dit à chacun de ceux qui l’abordent comme un livre de vie, que ce chemin mène à Dieu. Dieu qui attend chacun de ses enfants – tel le père de l’enfant prodigue, Dieu qui accompagne chacun de nos pas, qui donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. (Ps 91,11) et qui ne cesse de répéter : Je serai avec toi. 
Comme toute rencontre se prépare, il y aura, au cours de la vie terrestre, des avant-goûts de celle qui nous est promise au bout du chemin. Le pèlerinage est une anticipation de la rencontre définitive.
Origine du pèlerinage dans le Premier Testament
La Tora (au sens des cinq premiers livres de la Bible) ordonne au peuple d’Israël : Trois fois par an, tout mâle sera vu à la face du Maître Seigneur (Ex 23, 17). Aux trois fêtes dites ‘de pèlerinage’ (littéralement ‘marches à pied’) que sont Pesah – la Pâque, Chavouot – la Pentecôte et Soukkot – la fête des Tentes, le peuple (particulièrement les hommes en raison des difficultés que la marche à pied pourrait occasionner aux femmes et aux enfants) était convoqué par Dieu. Lors de ce rendez-vous, fixé par Dieu lui-même, dans sa demeure qu’est le Temple de Jérusalem, chacun sera vu par Dieu et verra Dieu (seul l’hébreu permet cette double lecture). Dans cette rencontre, il y a donc « vision réciproque ». Mais Dieu n’ayant pas de corps, donc pas d’yeux, l’être humain ne peut le voir de ses yeux… c’est d’une autre ‘vision’ qu’il s’agit : comme s’il voyait l’invisible dira la lettre aux Hébreux (11, 27)
Où était fixé ce rendez-vous avec Dieu ? Au lieu qu’il a choisi… (Dt 16, 16) c’est-à-dire au Temple de Jérusalem. Dieu a choisi d’y demeurer, d’y faire habiter sa Présence, très précisément dans le ‘Saint des saints’ où était déposée l’arche d’Alliance avec les Tables de la Loi et où le Grand-Prêtre pénétrait une fois l’an, le jour de Kippour, le Grand Pardon.Ainsi, chaque année, trois fois l’an, le peuple s’avançait… vers la maison de Dieu, parmi les cris de joie, l’action de grâces, la rumeur de la fête (Ps 42, 5).
L’appellation ’Psaumes des montées’ (120-134) vient sans doute, entre autres sens, de ce que ces psaumes étaient chantés lors des ‘montées’ du peuple à Jérusalem pour ces fêtes de pèlerinage (Jérusalem est entouré de collines, ce qui justifie le terme ‘montée’).
Quelle joie quand on m’a dit : Allons à la maison du Seigneur !
Enfin nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem !
… (Ps 122, 1-2…)
Le fait que la montée à Jérusalem ait lieu trois fois par an et qui plus est : tous les ans manifeste bien que cet ‘événement’ n’est pas d’un moment, risquant ainsi de s’effacer avec le temps, mais comme un besoin de la vie avec Dieu : on ne se suffit pas d’une seule rencontre avec celui qu’on aime…Le Premier Testament nous apprend deux choses essentielles sur le pèlerinage : tout d’abord il est pour Dieu : Trois fêtes de pèlerinage tu célébreras pour moi dans l’année (Ex 23, 14). La démarche est pour le Seigneur, Par ailleurs, le précepte s’adresse soit à l’individu : Tu célébreras… soit au peuple – dans les textes parallèles – … les solennités auxquelles vous les convoquerez… (Lv 23). Ce changement de personne veut peut-être nous enseigner que si la démarche de pèlerinage se fait en communauté, chacun, à titre personnel, doit s’y engager. L’individu ne peut se satisfaire de ce que le groupe assume : il doit y prendre sa part, y engager sa liberté.
Dans le Nouveau Testament
Les trois fêtes de pèlerinage sont observées par Jésus comme par ses disciples.
Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque (Lc 2, 41). Ils venaient alors de Nazareth où ils habitaient. C’est durant un de ces pèlerinages que Jésus, âgé de douze ans – l’âge légal dans le judaïsme pour l’observance des préceptes – les accompagna : à l’insu de ses parents, il resta à Jérusalem… et il advint, au bout de trois jours, qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant… (id. id. 46).
L’évangéliste Jean mentionne lui aussi l’observance du pèlerinage par Jésus et ses disciples. … Il y eut la fête des juifs – et ‘la fête’ désigne Soukkot, la fête des Tentes – et Jésus monta à Jérusalem (5, 1)
Jésus parcourait la Galilée… Or la fête juive des Tentes était proche… Jésus dit (à ses disciples) : Vous, montez à la fête ; moi, je ne monte pas à cette fête parce que mon temps n’est pas encore accompli… Mais quand ses frères furent montés à la fête, alors il y monta lui aussi… en secret… On était déjà au milieu de la fête – celle-ci dure huit jours – lorsque Jésus monta au Temple et se mit à enseigner (id. 7, 1…14).
Le jour de la Pentecôte étant arrivé 
– il s’agit bien sûr de Chavouot, la Pentecôte juive – ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu… et tous furent remplis de l’Esprit Saint…(Ac 2, 1-5).
Nous avons donc le témoignage que chacune des trois fêtes de pèlerinage était observée par Jésus, ses parents et ses disciples. Leurs démarches étaient bien communautaires : Le croyant dans la caravane… ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et connaissances… (Lc 2, 44) et elles étaient dirigées vers Dieu : Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? (id. id. 49).

Aujourd’hui, qu’en est-il, pour le peuple juif, de ces ‘montées’ à Jérusalem ?

En effet il n’y a plus de Temple : le Second Temple a été détruit par les Romains en l’an 70. Pour les juifs, la Présence de Dieu s’est alors ‘retirée’… et cette absence est célébrée dans le deuil, le 9 Av qui, selon le calendrier juif, tombe généralement au mois d’août. Pas seulement dans le deuil, mais aussi dans la prière d’espérance que Dieu reviendra demeurer au milieu de son peuple.

Du Temple il ne reste pas pierre sur pierre (Mt 24, 2) ; ce qu’il en reste jusqu’à aujourd’hui c’est un mur de soutènement : le Mur Occidental – parce que tourné vers l’occident – appelé plus communément et improprement : Mur des lamentations. C’est le lieu saint du peuple juif, le seul lieu saint, vers lequel affluent les communautés et/ou les individus, le shabbat et les jours de fête. Il soutient l’esplanade du Temple sur laquelle, indépendamment de toute raison politique, les juifs religieux ne peuvent marcher de peur de fouler le sol de ce qui fut le Saint des saints où seul pénétrait le Grand Prêtre, une fois l’an. C’est pour cela que le lieu de pèlerinage se limite au terrain attenant au Mur de soutènement.
On y vient du pays certes, mais aussi de tous les coins de la Diaspora pour célébrer Bar-Mitswa (l’accès à la majorité religieuse à l’âge de 13 ans pour les garçons, 12 pour les filles. Aussi à l’occasion de mariages, sans parler des shabbat de l’année, qui sont autant d’occasions d’anticiper la rencontre définitive avec Dieu.
Car le Mur symbolise vraiment pour les croyants la présence de Dieu à travers son absence. Dans les fissures de ses pierres ils glissent des petits papiers sur lesquels sont notées leurs intentions de prière. C’est ainsi que lors de son dernier voyage en Terre sainte, le dimanche 26 mars 2000, le pape Jean-Paul II a introduit entre les pierres du mur une feuille sur laquelle il avait formulé une demande de repentance de l’Église en ces termes :

DIEU DE NOS PERES,
Tu as choisi Abraham et sa descendance pour que ton Nom soit apporté aux nations :
Nous sommes profondément attristés par le comportement de ceux qui, au cours de l’histoire, les ont fait souffrir, eux qui sont tes fils et, en demandant pardon, nous voulons nous engager à vivre une authentique fraternité avec le Peuple de l’Alliance.
Par Jésus, le Christ, Notre Seigneur.

Le Mur occidental demeure à travers les âges le Haut-Lieu où le juif rencontre Dieu (il voit Dieu selon les termes bibliques) car c’est là que Dieu, pour la première fois, a manifesté sa Présence ; c’est là encore qu’il rassemblera l’humanité à la fin des temps, dans la Cité sainte, Jérusalem (cf. Apocalypse 21-22).

Pèlerinage chrétien en Terre Sainte

Grandement facilités par les moyens de communication moderne, les voyages sont aujourd’hui le fait de nombreux habitants de la planète. La terre sainte est une destination très fréquente pour les chrétiens qui affluent à Jérusalem d’Europe, des Amériques et d’Australie. Depuis quelques années les visiteurs arrivent même d’Asie, le plus souvent avec un intérêt purement culturel puisque les chrétiens sont très minoritaires en Orient.
Les pèlerins européens, toutes générations confondues, sont habituellement attirés par le ‘pays de Jésus’, soucieux qu’ils sont de mettre leurs pas dans les siens. Et le pèlerinage type va de Bethléem à Nazareth pour revenir à Jérusalem bien sûr en ayant fait le ‘détour’ par la Galilée. Il arrive pourtant que la première étape soit celle du désert du Néguev, dans les meilleurs cas en venant du mont Sinaï.
En effet l’histoire du salut, accomplie (mais non achevée) en Jésus de Nazareth commence avec l’élection du peuple juif et l’Alliance scellée avec Abraham. La liturgie de la nuit pascale propose comme première lecture ‘la sortie d’Égypte ‘, la libération de l’esclavage, sans laquelle le service de Dieu, signifié par les Dix Paroles du Sinaï, resterait lettre morte. Jésus n’est pas né en ‘génération spontanée’, mais au sein d’un peuple, le peuple juif et ce peuple a une histoire, une histoire avec Dieu… Si un pèlerinage est une rencontre avec Dieu, elle ne peut faire l’économie de l’histoire de ce peuple sans laquelle la vie de Jésus est coupée à la racine !
Et puisque notre foi chrétienne nous fait professer que Dieu s’est incarné, comment ne pas s’intéresser au peuple de Jésus vivant sur cette terre ?
Depuis soixante-deux ans, deux peuples-frères s’affrontent en Israël.
N’y habitant pas et ne pouvant comprendre le lien viscéral qui unit tout juif à la Terre de ses ancêtres, nous devons nous garder de juger les événements dramatiques qui s’y déroulent, désinformés que nous sommes souvent par des medias en quête de sensationnel. Quoi qu’il en soit, nous sommes marqués par la situation politique telle que nous la connaissons. Pourtant dès que nous sommes là-bas, force nous est de reconnaître que cette situation n’est pas celle que nous envisagions de loin. On peut rencontrer des Palestiniens, on peut rencontrer des Israéliens, bien sûr à condition de l’avoir prévu : comme ailleurs, les uns et les autres ont leurs occupations : ils n’attendent pas le pèlerin !

Rencontrer les habitants est important à plusieurs titres. Toute rencontre fait avancer dans la connaissance. On peut par exemple assister à un office dans une synagogue : Jésus s’y rendait le shabbat (Mt 13, 53…). La rencontre permet souvent de voir chanceler ses préjugés… les uns et les autres sont des êtres humains avec leurs soucis, leurs craintes, leurs amours, leurs défauts et leur grandeur, leur instinct de violence et leur aspiration à la paix. Puisque nous professons l’incarnation de notre Dieu, il nous faut aller à la rencontre de l’humanité qui, aujourd’hui, vit sur cette terre de souffrance : les Israéliens comme les Palestiniens nous montreront un visage à la fois moins repoussant et moins pur que nous ne le pensions de loin.

Depuis Jésus, la rencontre de Dieu, pour les chrétiens, passe par des hommes. Le pèlerinage en Terre Sainte se doit d’être une rencontre avec les hommes, tous les hommes qui y habitent pas seulement une visite de lieux dont on sait que, pour la plupart ils ne peuvent être authentiques. Il est vrai que, malgré cette incertitude historique, le message délivré ‘sur les lieux’ frappe davantage les esprits et, par là, pénètre plus profondément dans les coeurs.

Si la rencontre avec Dieu est la finalité de la vie de tout homme, le pèlerinage est un temps fort qui redonne souffle, élan et joie à celui qui est fatigué… Le pèlerinage est aussi lumière sur la route.
Pour la majorité des chrétiens, cette rencontre de Dieu se prépare dans la rencontre avec les hommes.